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Temps de lecture estimé : 21 mn
04/06/15
corrigé 09/06/21
Résumé:  Le piège est en place pour dénouer la situation.
Critères:  h fh ff ffh hplusag amour
Auteur : Nooz            Envoi mini-message

Série : La Compagnie dorée

Chapitre 06 / 07
Jeudi 5 mars 2048

Épisode 1 « 23 janvier 2048 »: un journaliste spécialisé se fait aborder par une société secrète dirigée par un homme charismatique.

Épisode 2 « 30 janvier 2048 »: malgré des réticences et une vague impression de manipulation, Julien accepte la proposition et réintègre un monde qu’il pensait avoir à tout jamais banni.

Épisode 3 « 6 février 2048 » : le travail avance, les amitiés se nouent, les amours aussi.

Épisode 4 « 22 février 2048 » : Julien est tombé amoureux de la petite Selma, mais la « Compagnie Dorée » le rappelle à sa juste réalité.

Épisode 5 « 25 février 2048 » : les vérifications suite à l’attaque se soldent par un échec, mais Julien revient des États-Unis plein de certitudes sur le cours de sa vie.



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Jeudi 5 mars 2048




Salle de réunion du château de Mauvezin


La salle est vaste et sécurisée par un brouillage en double quadrature, protégé par deux clés de cryptage 1024 bit. Nous sommes, Selma et moi, autour d’une table avec Jean-Joseph. Son retour en toute discrétion au château a mis plusieurs jours. Parti en bateau de Vlorë, il a accosté à Alicante et a remonté la péninsule espagnole en camion.



Ses yeux bleus ont retrouvé la pureté et le perçant qui leur avaient manqué ces derniers temps.



Au centre de la table ronde, une image tridimensionnelle surgit.



Une autre image apparaît, celle d’une femme.



Le ton glacial qu’a employé Jean-Joseph me statufie littéralement. Je comprends maintenant comment il a pu arriver à survivre si longtemps avec tant de secrets et de meurtres sur la conscience. Je reprends sur un ton le plus neutre possible :



Selma venait de prendre la parole pour la première fois. Je rétorque :



Un énorme point d’interrogation envahit la salle. Je ne suis pas peu fier de mon effet.



Le visage de Jean-Joseph s’éclaire comme celle d’un enfant devant le Père-Noël.



L’assistance est restée pendue à mes lèvres ; le plan reçoit un satisfecit de la part des deux protagonistes. Nous travaillons pour peaufiner tous les aspects de la manipulation.




Lundi 9 mars 2048




Je me suis réveillé tôt ce matin, et mon esprit vagabonde d’une pensée à l’autre. Une semaine déjà que nous sommes confinés dans le château. Nous avons repris la routine des rencontres du matin avec Jean-Joseph ; seule différence : les thèmes de discussions ont changé. J’ai rapidement remanié mes textes de façon à exciter nos ennemis, et le poison commence à être distillé sur nos deux suspects. Le résultat s’est vite fait sentir : les incursions dans la base de données ont augmenté. Hier, pour la première fois, j’ai eu accès au sous-sol du bâtiment. Je suis au cœur du centre névralgique de la compagnie. Salle de transmissions hautement sécurisées, entrepôt d’armes et de munitions allant de l’arme de poing au lance-roquettes, pas de tir entre dix et quarante mètres, creusés dans la roche…


À côté de moi, Selma et Hélène dorment ; les fragrances de mes deux amantes se mélangent. Je me lève doucement. L’eau fraîche qui coule sur mon corps me réveille ; la nuit a été pleine de délices et de voluptés. Selma, les yeux embrumés, me rejoint sous la douche ; elle se dresse sur la pointe des pieds et m’embrasse tendrement, son corps se colle au mien. Elle est heureuse et amoureuse.


Paradoxalement, notre escapade aux États-Unis et l’apparition de ma fille dans ma vie nous ont rapprochés. Pourtant, rien n’était gagné au départ ; Selma était mortifiée par cette apparition et elle s’est renfermée à notre retour. Nous étions à l’intersection de notre relation et j’ai sauté le pas. Je lui ai avoué mon amour ; elle a été bouleversée et j’ai compris le dilemme de Selma : elle nous aimait, Hélène et moi, et ne pouvait pas nous départager. Le lendemain, Hélène emménageait avec nous et nous commencions un ménage à trois.


Je me retrouve dans la situation inverse de celle que Stéphane Hessel avait racontée sur ses parents, et qu’un film de François Truffaut, Jules et Jim, du milieu du XXe siècle, avait magnifiée. J’espère que l’histoire finira mieux.


Je branche mon terminal et ausculte les informations de la nuit. Deux intrusions – dont une sur un chapitre de mon livre – ont été repérées. La seconde a fouillé dans les plannings des gardes et sur le nombre d’équipes. Notre intoxication fonctionne à plein régime. S’ils analysent en profondeur le planning, ils vont se rendre compte que la semaine du 8 mai est bien dégarnie, qu’il y a beaucoup de demandes de repos pour cette période.



Pas de réponse, la porte de la chambre est fermée. Je l’entrebâille doucement. Hélène, les yeux fermés, la bouche ouverte, tient la tête de Selma entre ses jambes. Sa poitrine est agitée de soubresauts, et son corps cabré sous la langue de son amante. Je n’émets aucun son, par peur de les déranger ; elles sont si belles… La forte envie de les rejoindre est contrebalancée par la vision érotique que les deux femmes m’offrent. J’écarte ma robe de chambre et je commence à me caresser.


Selma temporise. Elle embrasse l’intérieur des cuisses et remonte lentement ; sa langue agile chemine sur la peau mate de son amante. Elle s’attarde aux endroits sensibles : au nombril, puis aux tétons qu’elle mordille avec affection ; ils s’érigent rapidement. Elle termine sa pérégrination en glissant sa langue dans la bouche de son amour. Hélène referme ses bras et ses ongles se plantent dans le dos sous la passion qui les consume. Elles roulent, imbriquées, leurs bouches soudées dans un baiser sans fin. Selma se retrouve sous sa compagne, et c’est Hélène qui joue avec son corps. Elle descend rapidement entre ses jambes, et Selma pousse un feulement rauque quand Hélène enfonce sa langue dans son ventre. Les rôles ont changé, et Selma se tord de plaisir et ne résiste pas longtemps à la caresse. Je n’ai pas résisté non plus ; je referme la porte et j’essaie de m’intéresser à mon travail. Quelques minutes plus tard, c’est Hélène qui lâche un cri langoureux.


Concentré sur la vidéo de l’enterrement de Jean-Joseph, mes deux chattes viennent m’embrasser. Elles respirent le bonheur, et leurs baisers synchronisés dans le cou me hérissent les poils des bras. Elles filent, et la porte de la salle de bain claque sur un éclat de rire. Je termine juste le reportage quand elles réapparaissent, les reins ceints d’une serviette. Hélène m’interpelle :



Alors que je me retourne, les serviettes tombent et je les admire dans leur nudité. Mon attention est tout de suite attirée par Selma : il ne lui reste plus un poil sur le pubis. Elles sont maintenant, toutes les deux, totalement glabres. Je ne donnerais pas ma place pour tout l’or du monde : je suis amoureux de deux femmes désirables ! Je me mets à genoux devant elles, pose mes mains sur leurs fesses et embrasse les deux monts de Vénus.



Joignant le geste à la parole, ma langue descend sur leurs vulves. Elles sont différentes : Hélène possède des grandes lèvres ouvertes et charnues, Selma une fente serrée. Je commence à les honorer. Après que chacune a profité de ma langue inquisitrice, elles reculent simultanément. Je les regarde, étonné. Le pourpre est monté aux joues de Selma.



Elle se penche à mon oreille.



Leurs deux têtes hochent simultanément.

Je réfléchis ; les deux femmes sont suspendues à mes lèvres.



Elles sautent de joie comme deux gamines, et Hélène m’emmène dans la salle de bain. Elle saisit sur le lavabo une bombe de spray dépilatoire et me couvre d’une mousse onctueuse. Rapidement, je ressemble à un bonhomme de neige, mais la carotte n’est pas sur le nez : elle émerge fièrement de la mousse. Nous nous retrouvons confinés sous la douche, et sous l’action de l’eau ma pilosité s’échappe par la bonde. Les mains fiévreuses de mes deux amantes explorent toutes les parties de mon corps, n’excluant aucun repli. L’eau qui ruisselle ne rencontre plus de résistance ; une sensation de fraîcheur, accentuée par les mains de mes compagnes, m’envahit.


Je me sens tout nu ; comme une renaissance. Elles m’ont couché sur le lit et me massent avec des huiles essentielles. Je suis sur un nuage… Les quatre mains se baladent des talons aux épaules, la pointe d’un sein me frôle par intermittence le dos ; je suis dans un état indescriptible ! Placé sur le dos, elles m’oignent avec application, ignorant mon érection. Elles finissent leur massage par mes pectoraux, titillant du bout des doigts mes tétons. Selma regarde ma verge, tout sourire ; elle la saisit et la place à la verticale.



Elle m’enjambe sans une parole, et mon membre est aspiré dans un fourreau brûlant. Elle respire fortement et frotte son clitoris sur la peau nue de mon pubis. Le plaisir soudain me place à la limite de la jouissance. Selma n’est pas en reste : elle m’enfourche au niveau de la poitrine et s’avance cambrée vers ma tête. Sa vulve est brillante, et quand la pointe de ma langue effleure sa fente, elle exhale et embrasse son amante. Les gémissements de Selma augmentent. Je me concentre sur son clitoris, ce qui me permet de résister aux assauts de plus en plus rapides de la cavalière juchée sur ma verge. Ma jouissance se déclenche brutalement et provoque celle d’Hélène. D’un petit mouvement de bassin, elle se dégage et Selma en profite pour m’engloutir et profiter du mélange de nos deux jouissances. Je consolide ma prise sur ses hanches, et ma langue fouille au plus profond de sa fleur jusqu’à l’orgasme.


Une heure plus tard, nous sommes, Selma et moi, dans le bureau de Jean-Joseph pour achever les derniers réglages du plan. Tout maintenant est dans les mains de nos ennemis ; une sourde angoisse me saisit en pensant à tous les aléas du plan. Il nous reste quatre semaines d’inaction, mais aussi de doute et d’angoisse. Je regarde Selma : rien dans son attitude ne trahit une quelconque anxiété. Elle se retourne, me sourit. J’approche de son oreille et je chuchote :



Elle m’embrasse…


Les semaines s’égrènent lentement ; mon angoisse augmente en proportion. Depuis plus d’une semaine, plus d’intrusion, ce qui tend à prouver que nos ennemis ont décidé, et qu’eux aussi planchent sur un plan d’attaque. Mon instructeur me disait qu’une embuscade bien préparée, c’est une victoire assurée ; mais suis-je bien préparé ? Toutes les équipes sont formées, et les exercices et simulations n’ont donné que de bons résultats. Il n’en reste pas moins que la boule que je ressens dans l’estomac est prégnante.


Hélène dort tranquillement ; nous venons de faire l’amour. Selma, absente pour quelques jours, règle un problème de sécurité dans une agence. Je me pelotonne contre elle. La chaleur du corps qui m’accueille me rassure. Je calque ma respiration sur la sienne. Je suis bien, mais je ne m’endors pas.

Les heures se suivent, et les lueurs de l’aube percent à travers les rideaux. Hélène, dans un gros soupir, s’étire et se réveille. Elle se retourne et m’embrasse. Elle fronce les sourcils.



Elle se retourne, et je reprends ma place initiale. Elle ronronne doucement.





Lundi 4 mai 2048




Ce matin, dans le bureau de Jean-Joseph, la pression est montée d’un cran. Tout est maintenant achevé, le château commence à se vider de son personnel. Demain, une camionnette de livraison exfiltrera « le vieux de la Montagne » ainsi qu’Hélène dans une planque sécurisée. C’est une partie très délicate du plan : il faudra que chaque suspect pense que Jean-Joseph se trouve dans l’un des deux locaux. Dans la nuit, des faux messages circuleront avec les feuilles de route pour les services de sécurité. Dès le soir, les équipes seront en alerte. Des caméras de surveillance supplémentaires ont été placées dans le secret le plus strict sur les deux sites, et des guetteurs statiques couvriront les parcs d’yeux non-électroniques. Les équipes d’intervention dormiront équipées dans une salle commune sur des lits de camp.


17 heures ; tous les chefs de groupe sont réunis autour de Julien.



Le soir, toutes les équipes se retrouvent au réfectoire. L’ambiance habituellement enjouée de l’endroit est aujourd’hui empreinte de solennité et de calme. À côté de moi, Selma ne semble pas rassurée ; elle ne lève pas la tête de son assiette. Du haut de leur jeunesse, Agnete et Dimitri sont moins fermés ; une sorte d’insouciance que j’ai bien connue à leur âge. Tous à table savent que dans les trois jours qui viennent plusieurs personnes vont mourir ; et même s’ils ont déjà tous connu le feu, la peur est toujours latente, palpable.


Sous les draps, je ne trouve pas le sommeil. Selma non plus ; je l’entends remuer. Elle sursaute alors que ma main enveloppe son épaule. La lumière de la lampe de chevet s’allume soudain. Hélène se dresse, et d’un geste retire sa chemise de nuit.



La voix dure de Selma a déchiré la nuit.



Elle enlève le drap qui couvre Selma, déboutonne le haut de son pyjama et sa main, avec une douceur infinie, effleure la peau brune de sa compagne. Sur le moment tétanisée, Selma s’abandonne après de longues minutes de caresses qui glissent sur son torse, empaume ses petits seins et pince ses tétons. Je regarde ce moment de pure tendresse sous la lumière rasante de la lampe. Quand Hélène s’attaque au bas du pyjama, les lèvres ont remplacé les mains et suivent le même chemin : chaque centimètre de peau accessible subit le traitement le plus doux. Elle se détend et ferme les yeux dans un soupir d’aise. Quand la tête d’Hélène, après un cheminement détourné, arrive en haut du compas de ses cuisses, ma petite chérie se mord la lèvre supérieure. Je vois le visage de son amante monter et descendre, explorant toutes les zones sensibles du corps féminin. Selma est submergée soudain par une vague lente qui la secoue en douceur. Elle remonte, et le dernier baiser atterrit sur la pointe de son sein gauche.


Elle se retourne ; ses yeux brillent étrangement. Ses mains me déboutonnent et appliquent une méthode identique sur mon corps. Malgré tant de sollicitude, je n’arrive pas à entrer dans le jeu, mais elle ne se décourage pas, insiste et revient maintes fois sur l’ouvrage. Selma me regarde, gênée par mon manque d’enthousiasme. Elle finit par saisir ma verge en berne et concentre son attention. Toute son expérience est mise à l’épreuve pour réveiller mon ardeur. Un semblant d’érection couronne enfin son travail ; sa langue et ses lèvres font finalement des merveilles, et quelques gouttes finissent par couler au fond de sa gorge.


Au matin, dès potron-minet, la séparation est déchirante. Hélène, en pleurs, nous étreint l’une après l’autre. Nous ne sommes pas, Selma et moi, insensibles à la débauche de tristesse de notre compagne. Deux agents de sécurité l’attendent en bas de l’escalier, où Jean-Joseph fait les cent pas. Je regarde la camionnette de livraison s’éloigner ; mon cœur se serre. Tout est maintenant en place. Plus le temps d’avoir peur : nous sommes dans l’action.


Les derniers civils ont quitté ce matin l’enceinte du château. Dans les couloirs, je ne croise que des gens en armes, visage fermé. Tous connaissent à la perfection leur rôle, et les discussions sont inutiles. La journée et la nuit n’apportent aucun changement de statut dans le niveau d’alerte.




Mercredi 6 mai




La routine s’installe ; les tours de garde silencieux se succèdent, sans intérêt. Les sections combattantes s’entraînent au tir et au close-combat ; tout se fait par sections pour renforcer la cohésion des équipes, mais aussi pour tromper l’ennui qui, pour les unités, est source de démotivation. Avec ma section, je ne déroge pas à la règle, et il est vrai que pour ma personne ce n’est pas superflu : je suis sacrément rouillé, et au tir je prends une correction par un jeune soldat qui, en me forçant un peu, pourrait être mon fils. Et je ne parle même pas du combat à mains nues. J’ai retrouvé une forme d’athlète en ce qui concerne mon corps, mais pour les réflexes, malheureusement rien à faire. Nous avons eu une alerte vers 22 heures, mais ce n’était qu’un chat qui avait sauté la clôture. Pour l’instant, l’autre site est aussi tranquille. Je n’ai aucun doute sur le fait que demain sera le grand jour ; mais savoir quel site va être assailli et ce qui nous attend, c’est une autre paire de manches.




Jeudi 7 mai




La nuit tombe ; elle va être longue, plus longue que les précédentes pour moi. Si j’étais à la place des assaillants, ce serait ce jour que je choisirais. Toutes les études montrent que le troisième jour est toujours celui où le relâchement est le plus important. Je n’ai fait aucune remarque sur cet état de fait, mais je me rends compte que les chefs de section sont plus actifs avec leurs groupes ; ils savent aussi. Je suis rassuré : je les ai bien choisis.



03 h 21


Je suis réveillé en sursaut par une violente secousse au poignet, mes camarades pareillement. J’installe mon intercom ; les festivités vont commencer. En moins d’une minute, tous sont harnachés et courent à leur poste. Mes lunettes connectées m’informent que la clôture nord est cisaillée et que huit ombres approchent. Évitant toutes les caméras existantes, ils se dirigent vers l’entrée principale rapidement. Ils ont un équipement standard : gilet pare-balles d’assaut, plus léger, grenades à la ceinture et le pistolet-mitrailleur avec silencieux en main. Ils connaissent le terrain sur le bout des doigts, loin de l’opération américaine, des professionnels.


Arrivés dans l’allée centrale, ils se séparent en deux groupes, l’un sur le portail central, l’autre contourne le bâtiment par l’est. Un peu trop long, mais ils sont calés. Tous les chefs de section sont maintenant autonomes ; je dérive mon intercom sur ma section. La porte d’entrée se déverrouille dans un bruit feutré. Une silhouette apparaît, courbée, balayant le hall avec un détecteur IR. « J’ai bien fait de disposer des panneaux absorbeurs d’ondes IR. », pensé-je.



Il n’oublie aucun recoin de la salle. Il parle dans son laryngophone ; trois autres ombres glissent furtivement sur le tapis.



Ils avancent rapidement en direction de l’escalier.



La lumière jaillit. Les assaillants, éblouis par les lunettes à vision nocturne, se trouvent une fraction de seconde désorientés. Nos armes – des fusils d’assaut – crachent la mort au même moment. Les corps sont secoués par les impacts et tombent les uns après les autres. En pleine détresse, un assaillant lâche une grenade flash bang pour couvrir sa fuite ; nous sommes heureusement pourvus de lunettes équipées d’obturateurs électroniques qui atténuent le flash lumineux et de filtres d’oreille pour les sons de plus de 220 décibels. Quelques salves secouent comme des pantins les corps couchés.



Il décrit un arc de cercle pour ne pas être dans notre ligne de mire. Il approche, un automatique à la main. Il secoue les corps du pied et montre son pouce baissé et le signe quatre.



Mon estomac se serre. Selma… « C’est la merde ! »


Je monte quatre à quatre les escaliers, l’estomac au bord des lèvres, les poumons en feu. Devant le perron de la première porte, un de nos hommes gît, la gorge tranchée. Même résultat à la porte suivante, ainsi qu’à la suivante. La dernière porte – celle du bureau de Jean-Joseph – est grande ouverte, et Selma est adossée contre le bureau, calme, étrangement blanche. En m’approchant, je perçois deux impacts sur le plastron du gilet pare-balles au niveau de la région cardiaque.


Je pénètre précipitamment ; la seconde d’inattention m’est fatale : je reçois l’extrémité d’un silencieux sur la tempe. Je lâche mon arme, et le temps de reprendre mes esprits, une femme dirige son arme dans ma direction et m’intime l’ordre de me mettre à genoux, les jambes croisées et les mains sur la tête.



Sa voix est rauque ; je reconnais l’accent. Je lui réponds dans sa langue :



Elle lâche un juron concernant ma mère et ses mœurs dissolues. Et le mufle noir du Tokarev se déplace au centre de mon front. L’index blanchit sur la queue de détente. Je ferme les yeux. Finalement, je vais mourir avant Selma ; c’est bien ainsi. Je l’entends se reculer. Vais-je peut-être entendre la détonation avant que ma tête ne vole en éclats sous l’impact de la munition de 9 mm ? La détonation est trop forte pour que ce soit son arme. J’ouvre les yeux : une balle est entrée par l’oreille gauche et est ressortie par le pariétal droit, emportant une bonne partie de la boîte crânienne et de la cervelle. Agnete est au bout du couloir, les jambes écartées, les bras tendus, le pistolet fumant. Son pas en arrière, sûrement pour éviter de s’éclabousser, a été fatal à la tueuse.


Dimitri s’engouffre dans le bureau et se dirige vers Selma. Il déscratche le gilet, découpe le tee-shirt : deux impacts sont distincts sous la brassière, côté gauche. Les munitions haute vélocité utilisées, des pointes au carbure chemisées au Téflon ont seulement été déviées par les couches de Kevlar et de céramique.


Je m’approche de Selma. Elle m’aperçoit, veut me parler ; une quinte de toux et des bulles rosâtres sortent de sa bouche. Ses poumons se remplissent ; elle va mourir noyée dans son propre sang. Dans un effort surhumain, elle me saisit la main et la serre. Elle est fortement agitée, et les quintes éjectent maintenant du sang. Dimitri injecte une syrette de morphine ; elle se calme. J’essuie le sang qui coule de sa bouche et je lui mens en lui disant que les secours arrivent. Sa respiration est de plus en plus saccadée et rauque, et les régurgitations sanguines se rapprochent les unes des autres. Elle rejette beaucoup de sang que je m’évertue à nettoyer. Je pose un baiser sur ses lèvres ; elles sont froides et immobiles. Elle ne me voit plus, mais sa main continue à serrer la mienne. Elle s’accroche à la vie, mais la faucheuse est plus forte. Dans un ultime effort, elle se cabre, puis retombe inerte. Un flot sang est expulsé par la bouche et les narines.


Je la serre dans mes bras et je crie.


Dimitri me relève, et deux soldats de ma section enlèvent le corps de Selma. Elle est déposée avec ses camarades de combat dans une pièce froide. Hélène et Jean-Joseph sont arrivés. Hélène, totalement effondrée, je jette au cou de son amante totalement hystérique ; Jean-Joseph fait plus que son âge. Je m’éclipse et erre dans le couloir. Agnete me dirige comme un enfant vers ma chambre. Elle me déshabille et me jette sous une douche brûlante.


Je suis prostré dans un coin du bac quand Hélène relève Agnete. Elle me sort et me sèche, puis m’emmène dans le lit. Tout dans la chambre nous rappelle Selma : les draps ont gardé l’empreinte de nos ébats, l’odeur de nos jouissances mélangées. Je me recroqueville sous le drap ; le corps chaud d’Hélène me fait du bien. Je me retourne et la regarde : son beau visage est ravagé. Nous pleurons notre amour sans retenue.


La nuit se termine. Nous n’avons pas dormi ; nous avons beaucoup parlé, ri, pleuré. La peine est immense, mais sur le matin Hélène s’est lovée contre moi et nos respirations se sont synchronisées dans un moment de douceur régénératrice.


Quand nous nous rendons dans la pièce transformée en chambre funéraire, nous retrouvons Jean-Joseph très affecté devant les quatre corps. Ils ont été préparés ; les violences qu’ont subies leurs corps ont disparu. Selma, dans son tailleur strict, semble dormir tranquillement. Elle est belle, et n’a plus à vaincre ses démons. Une main se pose sur mon épaule : c’est le premier contact familier que Jean-Joseph me prodigue depuis notre rencontre.



Une multitude de personnes sont venues rendre un dernier hommage aux dépouilles. Je n’en connais pas beaucoup, mais tous me présentent leurs condoléances : la Compagnie est vraiment une grande famille, et maintenant j’en suis membre.


L’ambiance est sépulcrale dans le bureau mitoyen habituel ; juste une porte nous sépare du lieu ensanglanté. J’entends du personnel qui s’active à côté ; mon estomac se vrille. Jean-Joseph, tassé dans son siège, me dévisage à mon entrée.



J’écoute le compte rendu, mais je ne l’entends pas.



Je lui lance un regard noir ; il se tasse encore plus dans son siège.



Un long silence s’installe entre nous deux.



Je hoche la tête et me lève.



J’explose de rage.



De retour dans la chambre, je retrouve Hélène en sanglots, assise sur le lit, les vêtements de Selma éparpillés au sol.



Je la prends dans mes bras.