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Temps de lecture estimé : 17 mn
07/01/19
Résumé:  Un moyen efficace de se mettre à l'abri pour voyager ? Et les choses qui évoluent favorablement pour tous.
Critères:  nopéné -historiqu
Auteur : Jane Does      Envoi mini-message

Série : Journal d'une catin

Chapitre 10 / 12
La traversée de Paris

Résumé épisode I : « L’apprentissage »

Un temps lointain où les filles n’avaient pas la même valeur que les garçons !


Résumé épisode II : « Tante Gertrude »

Visite parisienne chez une vieille tante et bruit de bottes, à l’aube d’une jeune vie.


Résumé épisode III : « Un salon particulier »

Se faire belle reste tout un art et Madame se montre pleine de surprises.


Résumé épisode IV : « Le cadeau de Georges »

La vie se complique. Paris offre pourtant toujours de belles visites à faire et puis… les uns et les autres vont et viennent.


Résumé épisode V : « Montmartre »

Les rencontres les plus inattendues font se mêler les évènements insolites. Les temps troublés offrent bien des choix difficiles.


Résumé épisode VI : « Le ruisseau des tentations »

Une palette de couleurs sur fond de verdure. La préservation de la nature est un choix.


Résumé épisode VII : « Le retour d’Adèle »

Adèle, l’amie revenue, et les préparatifs de la Sainte Marie…


Résumé épisode VIII : « Le fiancé d’Adèle »

Un cadeau et une rencontre. C’est enfin le jour anniversaire tant attendu. Cadeaux pour Charlotte et pour Adèle, il y a Lionel. Et le couvre-feu qui oblige à la promiscuité.


Résumé épisode IX : « Monsieur Charles »

Encore un coup d’épée dans l’eau pour Adèle. Mais un départ, un voyage imminent met sur des charbons ardents Charlotte. Puis Paul aussi revient dans le jeu ainsi qu’un personnage troublant.




La traversée de Paris




Après le départ de Monsieur Charles, Geneviève et moi avions discuté quelques minutes. Et une idée avait germé dans ma petite tête. Saugrenue, farfelue, mais finalement ce qui semblait le plus improbable, le plus gros, pouvait parfois s’avérer réalisable.



Force m’était de songer que je m’étais légèrement enflammée et que cette solution m’effrayait bien plus que je ne l’aurais cru. Geneviève avait acquiescé et m’encourageait à finaliser mon projet. Ces réflexions me submergeaient par la peur qu’elles engendraient alors que je rentrais dans mon appartement. C’était ainsi que le soir même, j’attendais le retour d’une Adèle qui se faisait espérer. À sa mine, je sus d’emblée que quelque chose n’allait pas.



C’était parfait, inespéré. Qu’elle pense que je voulais la draguer en y mettant les formes ne pouvait que servir mes plans. Et quelques minutes après, nous marchions dans ces rues toujours aussi remplies d’uniformes verts. Le patron m’ayant reconnue de suite, il nous dirigea vers un endroit calme de la salle. Dans celle-ci, des types en costumes dont je n’avais aucun doute sur leur profession et des soldats accoudés au bar devisaient dans une langue dont nous ne comprenions pas un traître mot.


On nous servit un repas, lentilles et petit salé relativement goûteux. Une table, sans que je montre ouvertement quoi que ce soit, m’intéressait d’emblée plus que les autres. Deux hommes porteurs aussi d’effets militaires, mais bardés ceux-là de galons ne pouvaient qu’être des officiers. Et ostensiblement, je jetais des regards dans cette direction. Ce devait être si visible qu’Adèle ne se priva pas pour me le faire remarquer.



Une envie d’éclater de rire me prit devant cette face outragée qu’elle montrait en me lançant de tels propos. Un dégoût manifeste que je n’aurais su lui reprocher. Mais lui faire part de mes intentions pouvait s’avérer dangereux pour moi et peut-être également pour elle, si je venais à rater mon coup. Mon rire qui fusait dans la salle attirait immédiatement les regards des gens dans la pièce en général, et des deux Allemands en particulier. C’était d’une manière presque naturelle que ceux du type à la coupe en brosse qui dînait avec son copain blond vinrent se poser sur notre table.


Et Adèle repartait dans ses reproches. Sa voix véhémente me parvenait, forte, nette et claire.



Les voix dans la salle semblaient s’être, sinon tues, du moins atténuées. Les quinquets bleus de l’officier restaient ancrés dans les miens, avec une brillance nouvelle. Et devant une Adèle médusée, une sorte de rictus se voulant sourire s’affichait sur mes lèvres. Le doute n’était plus permis. Ma copine m’imaginait bien en pincer pour l’un d’entre eux. Alors elle se leva et avec une moue de dédain prit congé assez sèchement, en me persiflant dans les oreilles.



J’avais subi ce monceau de reproches ainsi formulés avec une seule idée en tête. Ce type assis là-bas pouvait m’être utile et par les temps qui couraient, le sésame d’un officier de nos vainqueurs pouvait s’avérer précieux. Pas spécialement pour moi, mais pour cette juste cause que j’entendais embrasser. Et je me levai donc pour accompagner Adèle à la porte. Elle refusa de me faire la bise avant de me quitter. Je saisissais fort bien son attitude. Et c’était d’un pas mal assuré, je l’avoue, en tremblant, que je retournai vers ma table.


Les autres clients eux avaient sans doute perçu ce trouble et cette dispute entre mon amie et moi. Dès que j’eus repris place sur mon siège, le serveur s’approcha.



À la table des officiers, le brun hélait soudain le garçon. Il avait de nouveau les yeux braqués sur ma petite personne.



Celui qui s’exprimait dans un français presque parfait avait juste un accent légèrement guttural. Les deux cependant étaient debout, tournés vers moi. Ils se contentaient ensuite d’approcher de ma place.



Le blond, lui, ne m’avait pas dit un mot. Il se contenta de s’asseoir face à moi, sans même se soucier de savoir si j’étais d’accord ou pas. Le serveur arrivait avec la bouteille réclamée et trois coupes. Les conversations autour de nous reprenaient.



Alors qu’il s’asseyait, l’autre avait un regard narquois qui restait planté sur mon corsage. Ce blond me donnait des sueurs froides. Ses yeux d’un bleu métallique transpiraient un air méchant, amplifié par sa manière de me dévisager. Et il ne s’adressait qu’à son compagnon, dans leur langue maternelle. Il agissait comme si finalement, je n’étais rien d’autre qu’une pauvre petite chose insignifiante.



L’autre ne m’adressait pas la parole. Et au bout de longues minutes, il se leva pour prendre congé de son ami, sans même un geste de salut pour ma petite personne. Peter crut bon de l’excuser.



J’avais senti que le vocable qui désignait Hitler lui pesait. Je ne voulais surtout pas me fourvoyer dans une diatribe sur ce patron haineux. Mais je savais déjà que je devrais donc me méfier du copain de ce brun qui discutait avec aisance de tout et de rien. Puis tout à trac, il me surprit par une question inattendue.



Le soldat s’était redressé et m’avait attrapé la main au vol. Il m’entraînait vers le fond de la salle encore vide, celle où les gens, d’ordinaire les dimanches après-midi dansaient. Il se dirigea alors vers le piano qui trônait au bout du parquet. Là, il se mit en devoir de jouer. Les premiers accords m’apprirent qu’il aimait Mozart. Ses doigts agiles frappaient les touches avec justesse. Mais la peur me nouait le ventre et je me sentais observée par des paires d’yeux de toutes parts, seule au bord de cette piste absolument vide.


Le morceau dura de longues minutes, pénibles pour moi, plantée là comme un piquet. Le pianiste, lui, souriait les yeux mi-clos dans une sorte de béatitude bizarre. Son attitude démontrait son amour pour la musique ou plus exactement pour celle de ce compositeur. Quand il jugea qu’il avait assez martelé le clavier, il se leva et nous sortîmes enfin de cet endroit trop désert. Nous buvions alors une autre coupe et je quittais le restaurant. Il faisait exactement la démarche que j’avais eue avec Adèle, à savoir, il me chaperonnait jusqu’à la porte.


Dans la rue, l’air frais me fit un bien fou. Et mes frissons devaient se voir puisqu’il m’offrit de me raccompagner… en voiture. Ce que j’espérais bien…



Quelque part, la réaction d’Adèle me faisait prendre conscience que d’autres pourraient bien eux aussi, mal percevoir cette relation que je voulais surtout engager pour ma propre protection. Qui aurait l’idée de fouiller une voiture d’un officier allemand ? Encore fallait-il parvenir à mes fins, sans y laisser trop de plumes. Dans les jours qui succédèrent à cette rencontre, j’en parlais à Geneviève qui ne trouvait pas l’idée si mauvaise. Elle m’encourageait plutôt à continuer dans ce sens. Mais surtout elle me promettait d’en parler à Monsieur Charles pour que le jour espéré de notre libération, je ne sois pas considérée comme une « poule à boches ».


Forte de la certitude que j’étais capable de ne rien lui donner, je revis plusieurs fois le mélomane teuton. Et c’était donc ainsi que lors de plusieurs voyages en voiture blindée, mon sac de « provisions » fut transbahuté dans un véhicule militaire de nos occupants. Je dois dire que s’il avait quelques espérances, Peter ne me força jamais à rien. Pas un baiser, pas une tentative de caresse ! Non ! Courtois et dévoué, il m’accompagnait là où je le lui demandais dans ce Paris où à chaque coin de rue, un ausweis était requis.


Il arrivait qu’il me prenne la main, bien sûr. C’était simplement dans un geste d’affection et il n’y eut jamais aucune ambiguïté dans cette amitié qui nous unissait Peter et moi. Bien des Français auraient pu en prendre de la graine. Je pus de la sorte faire une douzaine de portages de poste radio-émetteur, sans qu’il ne se doute de rien. Un jour pourtant, il arriva à l’improviste dans mon appartement. Il devait partir le lendemain pour le front russe où les choses tournaient mal pour les armées du nabot allemand. Ces renseignements précieux, tous ceux que j’avais pu glaner à ses côtés avaient fait de moi une espionne de premier ordre.




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Adèle avait depuis bien longtemps rejoint son horloger franc-comtois. Je n’avais plus eu de nouvelles après son départ. Clothilde elle, avait retrouvé un homme, guidée dans son choix par une Madame Geneviève bien heureuse de la coller dans les pattes d’une de ses connaissances esseulées. Ma mère semblait heureuse et ne parlait plus du tout d’Armand. Les absents auraient donc bien toujours tort. Le départ de Peter ne m’avait pas vraiment dérangée. Sauf, sans doute, que la couverture confortable qu’il m’assurait avait écarté de moi, ceux qui m’étaient proches.


Paul me faisait la gueule, et tant d’autres me tournaient le dos. Je dus donc reprendre ma bicyclette pour faire des va-et-vient entre les combattants de l’ombre, leur apporter des courriers et messages dont j’ignorais la teneur. Ces voyages se passaient toujours sans trop d’encombres. Gertrude mourrait de peur de me savoir sur les routes avec toute cette agitation. Puis les soldats devenaient de plus en plus agressifs et j’échappais de justesse à deux ou trois embuscades. La chance semblait enfin tourner pour nos envahisseurs et partout la situation s’aggravait pour les armées du Reich.


Lors du retour d’une de mes promenades, Monsieur Charles et Geneviève m’attendaient à mon appartement. Un jeune type se trouvait là, également. L’air grave qu’ils arboraient me laissait penser que quelque chose de sérieux se passait. Immédiatement nous nous retrouvâmes au salon, volets et portes closes.



Le type devait avoir entre trente et quarante ans. Il me suivait des yeux sans montrer tellement d’intérêt pour ma petite personne. Et bizarrement, cet homme me faisait un drôle d’effet. J’en avais rencontré pourtant toute une flopée de ces petits chefs de réseaux. Quelques-uns m’avaient même draguée sans que j’y prête attention, mais celui-ci ne trahissait aucun signe particulier d’émoi et semblait avoir des nerfs d’acier. Ses cheveux châtain bien coupés, ses vêtements sobres lui conféraient une aura indéfinissable.


Nous avions donc, à l’issue de cette réunion, traversé ensemble Montmartre et regagné mon appartement. Durant quelques jours, Alexandre sortait la journée et rentrait le soir. Une sorte de vie de couple s’instaurait. Bien que nous dînions ensemble, jamais il n’avait parlé de ses allées et venues et je me gardais bien de poser de questions. Le troisième soir pourtant, il vint s’asseoir près de moi sur le canapé et pour la première fois, il me questionna :



Pourquoi sa main était-elle venue saisir la mienne ? Je n’en savais rien. Pas plus que je ne comprenais du reste, pourquoi je trouvais cela plutôt… bon ! Une incroyable chaleur venait de m’envahir alors que mes yeux ne quittaient plus les siens. Il y avait dans ses prunelles comme un appel, un message. Et sa voix qui reprenait soudain, perçant le silence de mon salon.



Pourquoi cette nouvelle me donnait-elle de grands coups dans la poitrine ? À moins que ce ne fût cette patte masculine qui me serrait les doigts à les blanchir ? Et quand ses lèvres vinrent clore les miennes par un baiser de feu, mon esprit n’était déjà plus connecté à mon corps. Une lave incandescente coulait en moi, comme se frayant un passage par le simple contact de nos bouches soudées. Et les caresses qui suivaient n’avaient d’autre but que de calmer nos appétits, d’un coup exposés à la lumière de l’arrivée imminente de nos libérateurs.


Pourtant Alexandre ne cherchait pas à profiter de l’ascendant certain qu’il venait de prendre sur mon corps à la dérive. Non ! Les baisers échangés n’eurent aucune suite et j’étais trop pantelante pour oser réclamer plus. Quand il prit le chemin de la chambre, c’était bien sur mon canapé que je m’endormis cette nuit-là. Et des coups violents, le lendemain vers neuf heures, me tirèrent d’un sommeil lourd. Quelqu’un tambourinait à la porte comme un damné. Je vis Joubert qui se précipitait derrière la cloison, un pistolet à la main. Il me fit signe de parler à celui qui tapait comme un sourd dans le panneau de bois.



Dès que j’eus tourné la clé dans la serrure, elle fit alors irruption dans la pièce. Elle avait un visage rayonnant.



Nous avions dressé l’oreille Joubert et moi. Des bruits pareils à des claquements nous parvenaient, lointains et sourds.



Dans sa joie, le capitaine m’avait embrassée sur la joue et j’avais vu les quinquets de Geneviève qui s’allumaient. S’imaginait-elle que lui et moi avions… non ! Et j’en ressentis comme une tristesse. Si j’avais su, j’aurais dû, peut-être que si j’avais osé… C’était de toute façon trop tard pour revenir en arrière. Dix minutes plus tard, mon hôte s’évanouissait dans les rues d’un Montmartre qui comme les autres quartiers de la capitale se réveillait avec la bonne nouvelle. Je ne devais jamais plus revoir Alexandre Joubert. Et je ne saurais jamais son vrai nom, car bien entendu, il ne s’agissait que d’un pseudonyme.


Nous étions le sept juin quarante-quatre.



À suivre…