Résumé :
La guerre fait rage à la suite d’un raid tanibrinque sur le port de Dorbauxe dans le royaume de Canfre. Le vice-amiral vicomte Charles de Sombreuil fait partie du Conseil du Roi. Il est l’amant de la marquise Anaïs de Pierrenoire. Sur instructions, il lui distille des renseignements sur ce qu’il s’y décide, la belle marquise les revendant à un agent tanibrinque. Cette « mission » le tient éloigné de celle après qui il soupire : Claire de Chabannes de Villerutay, la fille de son supérieur l’amiral. Un jour énervé par l’irruption de la marquise, alors qu’il désirait rester seul, il l’entraîne dans une écurie où il se montre quelque peu brutal. D’un autre côté, profitant que son père l’amiral soit parti rejoindre la flotte pour une mission de haute importance, et que l’hôtel de Villerutay soit en grande partie déserté, Claire y invite Charles et se fait dépuceler avec un moult enthousiasme. (Voir la liste des épisodes en fin de récit)
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Après qu’il a emporté les pucelages de la très ardente Claire de Villerutay, le vice-amiral Charles de Sombreuil regagne ses appartements à une heure avancée. Il est couché depuis peu quand son valet vient l’avertir qu’un messager est arrivé désirant lui remettre un message d’urgence. L’homme apporte ce pli depuis le font nord. En le décachetant, Charles pâlit. Il y apprend que le comte de Sombreuil, son père, blessé durant les opérations est au plus mal et qu’il désire le voir. Dès que l’heure le permet, il va demander son congé afin de pouvoir se rendre auprès de son père. Comme aucun conseil important n’est prévu avant d’avoir des nouvelles de l’opération sur port de Mayphoult. L’autorisation de s’absenter lui donnée à la condition qu’il soit de retour dans les deux semaines. Il prend juste le temps d’écrire deux courts billets, l’un pour Claire et l’autre pour la marquise puis il part à bride abattue.
Il prend à peine le temps de dormir et passe la journée entière en selle et même une partie de la nuit. Quand il arrive enfin, le lui médecin dit que l’état du blessé est stationnaire, avec même une légère amélioration, si celle-ci se poursuit, il sera peut-être possible d’envisager un retour vers les terres familiales pour une convalescence. Quand Charles retrouve son père, celui-ci est visiblement soulagé. Il attendait l’arrivée de son fils avec impatience. Il ne lui laisse pas placer un mot :
- — Ah Charles ! Te voici enfin.
- — Père, je vous venu aussi que possible. Je suis heureux de voir…
- — Laisse-moi parler pendant que je le peux.
- — Le médecin a dit…
- — C’est un âne. Charles, écoutez, ce que j’ai à vous dire est important. Cela concerne Jean-Louis mon jeune frère. Il était promis à la fille de mon ami le général de La Vieuville et il est parti, sur mon conseil, pour s’enrichir afin de pouvoir assurer un meilleur train de vie à sa femme et qu’il a effectivement fait fortune en devenant le conseiller d’un potentat oriental. Il est mort là-bas des fièvres il y a cinq ans. La fortune qu’il avait amassée nous a aidés à restaurer le prestige de notre maison.
- — J’espérais faire partie d’une expédition qui m’aurait permis de le revoir. J’aimais beaucoup mon oncle. C’était comme un frère, il n’était guère plus âgé que moi.
- — Laisse-moi continuer. Cela est la version officielle. En réalité, il s’était amouraché d’une fille de petite condition. Le père en était marchand, mais de médiocre envergure. En tant qu’aîné, puisque père était mort, je ne pouvais autoriser une telle union. C’est ce que j’ai fait. Mais au lieu de voir que j’agissais ainsi pour lui, pour qu’il soit bien établi, il a insisté pour que je rompe l’accord avec La Vieuville. Ce que je refusais naturellement. Au lieu de s’incliner, il a décidé de s’enfuir. C’est pourquoi il s’est embarqué pour les colonies. Il m’a mis devant le fait accompli, quand j’ai reçu sa lettre, le navire avait pris la mer depuis plus d’une semaine. Je n’ai eu d’autre solution que de feindre que c’était sur mon conseil qu’il avait entrepris le voyage. Ce voyage il ne l’a pas fait seul, la jeune fille qu’il aimait l’accompagnait là-bas et il l’a épousée. Quand il est mort, le prêtre qui les avait mariés a jugé qu’il serait judicieux de m’apporter les pièces de ce mariage. Quand cette fille est rentrée et est venue au château, je l’ai éconduite en lui donnant une bourse. Depuis j’en ai regret et quand j’ai vu la mort j’ai compris qu’il fallait que je retire cette flétrissure à mon honneur. Quoiqu’en dise cet imbécile de médecin, je n’en ai plus pour longtemps, aussi c’est toi que je charge de réparer les torts que j’ai causés. Les documents sont dans une enveloppe que j’ai mise entre le support et la toile représentant ton grand-père. Dieu merci je ne les ai pas détruits. Promets-moi de faire ce qu’il faut pour rétablir la justice.
- — Je vous le promets, père.
- — Merci Charles. Je peux partir la conscience allégée. Va quérir un prêtre.
Le comte se laisse aller sur ses oreillers le souffle court et ferme les yeux. Le vicomte part à la recherche d’un ecclésiastique. Il revient avec un père cordelier d’un couvent voisin. Celui-ci s’enferme avec le malade. Une heure plus tard, il ressort, s’approche du vicomte pour lui annoncer que son père est mort chrétiennement.
Charles est atterré par ce que vient de lui confier son père. Jamais il n’aurait cru qu’il fut capable d’une telle action. Il se rend compte que seule l’attente de sa venue a maintenu le moribond en vie. Il organise le transfert du corps pour que son père repose dans la chapelle familiale. Il ne peut l’accompagner, son congé étant trop court, mais les deux domestiques du comte l’escorteront. Il espère que les événements lui permettront de pouvoir assister à l’enterrement.
De retour à la capitale, Charles continue d’être perturbé par le décès de son père et surtout par ses révélations. Au Conseil auquel il assiste, Sa Majesté lui fait la grâce de lui témoigner de la sympathie pour la mort au feu du comte de Sombreuil, elle lui accorde la possibilité d’aller assister aux funérailles et de dire à la comtesse qu’il compatit à sa douleur.
La marquise de Pierrenoire croise Charles une heure après. Elle se dit que c’était l’occasion de lui présenter ses condoléances, et comme il sortait d’un Conseil c’était aussi l’occasion de glaner des renseignements. Or le vicomte n’aspirait qu’à la tranquillité pour se remettre, de la mort de son père, de ce qu’il lui avait appris et du voyage. Il n’envisageait que d’aller faire une courte à Claire. Cette rencontre l’exaspère. Après avoir compati à son deuil, la marquise accompagne Charles. Celui-ci repense à leur dernière entrevue et une même envie de la mortifier le prend :
- — Chère Anaïs, avez-vous persévéré à vous aguerrir à ce que j’ai commencé à vous instruire ?
- — Pour dire vrai, je n’ai point persisté dans la voie que vous avec ouverte.
- — Diantre vous avez tort ! Heureusement maintenant que je suis de retour nous allons pouvoir reprendre.
La marquise qui n’y tient nullement, ayant peu goûté le précédent exercice. Aussi cette fois-ci est-elle décidée à ne point se soumettre. Elle tente de le dissuader, mais il s’entête. Elle ne veut point perdre le bénéfice de l’or glaisan, ni surtout la compagnie de Charles et ne veut pas davantage subir de nouveau le genre d’assaut qu’envisage le vice-amiral. Avisant le Monsieur de La Reynie le Lieutenant-général de police, elle entraîne son amant vers lui. Elle l’interpelle :
- — Monsieur le Lieutenant général, puis-je vous retenir un instant ?
Bien que surpris, il accepte gracieusement. Elle enchaîne :
- — Monsieur le Lieutenant-général pourriez demander à Monsieur de Sombreuil de me mieux traiter ?
- — Pardon ? répond Monsieur de La Reynie, surpris.
- — Pourriez demander à Monsieur de Sombreuil de me mieux traiter ?
- — Je m’en veux de ne pouvoir vous être agréable, mais je crains de n’avoir aucune autorité en la matière.
- — En ce cas, je dois vous avertir que je ne pourrais que rompre tout commerce avec Monsieur le Vicomte, bien qu’il m’en coûte… de plusieurs manières. Et croyez que suis au regret d’ajouter à vos tracas en ces temps difficiles.
Monsieur de La Reynie la regarde, intrigué, et demande :
- — Que voulez-vous dire ? Je ne comprends pas.
- — Allons Monsieur. Faut-il vraiment que je vous explique ?
- — Je vous en prie.
- — Puisqu’il le faut. Peu après le déclenchement de la guerre, j’ai été approchée par un homme qui désirait avoir des informations sur ce qui se disait à la cour, moyennant dédommagement. Mon époux ayant eu la mauvaise idée d’être ruiné, et de me laisser dans une situation financière plus que délicate, j’acceptais. Pendant quelques semaines, je lui rapportais les bruits de couloir. C’est-à-dire rien, tout et son contraire, jusqu’à ce qu’un jour Monsieur le Vicomte s’intéresse à moi et me confie des choses qui n’étaient pas que des bavardages ou des informations dépassées. Je fus surprise, Charles était connu pour son attachement pour la fille de l’amiral de Villerutay, mais chacun sait que les sentiments peuvent changer. Si, dans un premier temps, Charles me donna quelques informations secondaires, rapidement ce qu’il me narrait eut un caractère beaucoup plus substantiel, au point que je ne retransmettais que certaines choses à l’homme ne voulant point nuire au royaume. Cela ne cadrait pas avec la nature de monsieur le vice-amiral et son sens du devoir. Il se montrait si bavard qu’il était évident que cela était intentionnel. Aussi je n’hésitais plus à rapporter tout ce qu’il me disait. J’ai un moment hésité à lui dire, mais j’ai jugé préférable de continuer comme si de rien n’était pour ne pas éveiller les soupçons de l’homme, car je pense qu’il a soudoyé un domestique pour me surveiller. Un changement d’attitude de Charles aurait tout compromis. Comme vous n’avez certainement pas manqué de l’apprendre avant de partir pour assister son père, Charles m’a entraînée dans une écurie pour m’y baiser, puis m’y sodomiser, avant de me planter dans le cul le manche d’un fouet avec lequel j’ai dû traverser la moitié de la ville. J’ai peu goûté la chose. Et aujourd’hui, il veut à nouveau m’enculer, c’est pour cela que je viens vers vous pour que vous le persuadiez de renoncer. Il serait regrettable de mettre à terre cette combinaison pour une marotte de Monsieur le Vicomte. Surtout qu’il paraîtrait fort suspect qu’un autre membre des conseils se mette à me faire des confidences, ne croyez-vous pas ?
L’étonnement se lit un instant sur le visage de Monsieur de La Reynie, qui pourtant est maître dans l’art de ne rien laisser transparaître. Il se reprend vite et quand la marquise achève son exposé il sourit presque :
- — Entendez-vous, monsieur le vicomte, Madame la marquise a raison. Il faut vous montrer raisonnable. Quant à vous Madame, vous auriez dû, malgré vos craintes, nous faire part plutôt de vos dispositions. N’avez-vous pas songé que vous pouviez être arrêtée à n’importe quel moment pour être jugée pour forfaiture et trahison.
- — Ci-fait, mais à ma grande honte, je dois avouer que je différais, car je craignais que Charles ne me délaisse.
- — Monsieur de Sombreuil ne peut vous négliger sans que cela ne semble suspect. Ceci résolu, si certaines choses vous paraissent intéressantes lors de vos contacts avec votre correspondant, ne négligez point de me le faire savoir. Je le fais surveiller, mais des éléments importants peuvent échapper.
- — Monsieur le Lieutenant général, je n’y manquerai pas.
- — Je suis enchanté de cette conversation. Madame la marquise, vous êtes une personne fort intéressante. Je vous présente mes respects. Charles, je vous souhaite le bonjour. Et faites tous deux attention à ne rien faire ou dire quelque chose qui puisse donner l’éveil.
Le couple salue Monsieur de La Reynie qui s’éloigne d’un pas alerte. Charles se tourne vers Anaïs :
- — Vous… vous…
- — Il ne pas fallait être grand clerc pour tirer des conclusions. Malgré ce que vous pensez, il m’arrive de réfléchir. Bien que je sache que vous êtes… comment dire ?… auprès de moi, en service commandé. Je tiens à vous.
- — Vous tenez à moi ! Je ne mérite pas l’intérêt que vous me portez. Nombreux sont ceux qui ont tenté d’attirer votre attention et qui auraient amplement plus mérité votre sollicitude.
- — Certes nombreux sont ceux qui ont tenté de me mettre dans leur lit, mais en cela il voulait flatter leur vanité d’avoir mis à leur tableau de chasse une femme que l’on dit être une des plus belles de la cour. La beauté n’est pas forcément une bénédiction. Aucun ne voyait une personne en moi, seul les intéressaient le plaisir qu’il pouvait retirer à me baiser et la gloriole de me produire à leur côté comme un trophée. Quand vous vîntes vers moi, je fus surprise, car jusque-là, vous vous étiez toujours conduit galamment et ne me parliez pas comme à une proie. J’appréciais déjà votre compagnie. Au début, que me soyez une source de renseignement qui servait ma bourse accrut l’intérêt que je vous portais. Mais cet aspect devint rapidement négligeable. Bien que je me rendisse tôt compte que votre sollicitude à mon égard fut de commande, vous fûtes un cavalier charmant et attentionné. Votre conversation peut-être tantôt drôle, tantôt sérieuse, jamais ennuyeuse. De vous avoir auprès de moi éloigna nombre d’importuns et de jalousies féminines. De plus vous me fîtes découvrir des plaisirs que je ne connaissais pas.
- — Votre mari…
- — Mon mari, ne m’en parlez pas. Ma mère me tira du couvent à quinze ans pour me marier au marquis de Pierrenoire qui dépassait les soixante-cinq. J’ai été vendue et le terme est inexact, car j’apportais au marquis une confortable dot, mais que je sois mariée à un personnage de si haute noblesse quel honneur pour la famille. Comme je vous l’ai dit, si mon époux fut un grand séducteur, quand il m’épousa ses excès l’avaient fort flétri. Pour me dépuceler, il usa du pommeau de sa canne. Jamais il ne me pénétra vraiment. Il m’imputa son impuissance et pour s’en venger me tourmenta. Quand il mourut, ce fut pour moi un soulagement. Mais même par-delà la mort il empoisonne ma vie, car à son décès, il était presque ruiné et laissait surtout des dettes. Il avait même dilapidé une grande partie de ma dot. Heureusement que sa sœur me verse une pension, sans cela je serais dans la misère.
- — Le marquis vous tourmentait ?
- — Notre petite réjouissance dans l’écurie fait presque distraction pour nonnette à côté de ce qu’il m’a fait subir lui avec le compérage de son intendant et surtout de la femme de ce dernier. Mais brisons là, je préfère n’en pas parler.
- — Me pardonnerez-vous un jour pour…
- — L’écurie. Soyez assuré que vous l’êtes déjà. Croyez que j’ai compris que votre déception de ne point suivre l’amiral de Villerutay jointe à ma présence insistante à un moment où vous aspiriez à de la quiétude vous insupportèrent. Ce fut pour vous un exutoire. J’ai bien vu en vous retrouvant tout à l’heure que vous étiez dans les mêmes dispositions. En apercevant Monsieur de La Reynie, j’ai jugé qu’il était temps de mettre les choses au point et d’adoucir votre ressentiment.
- — Pourquoi ne quittez-vous pas Ressaville ?
- — Parce qu’hélas la sœur du marquis ne me pensionne qu’à la condition que je reste à la cour, car elle craint pour le renom de sa famille si je devais m’en éloigner. De plus elle me loge et appointe les domestiques sauf Marguerite. Quant à ma famille, mon père est mort quand j’avais cinq ans, ma mère peu avant le marquis et son nouveau mari est furieux du montant de la dot versée. Il espérait que l’argent resterait investi dans ses affaires. Il est inutile que je me tourne vers lui.
Le vicomte regarde la marquise d’un œil différent. C’est vrai qu’il la considérait avec dédain, comme une pécore, trop imbue de sa beauté, vénale, trahissant son pays. Il voit maintenant une jeune femme intelligente, dont l’existence fut loin d’être un long fleuve tranquille. Il ignorait sa vie avec le marquis, mais s’était rendu compte des jalousies que suscitait la marquise et des inimitiés que ses refus lui occasionnaient. Elle devait se sentir profondément seule et pas seulement se sentir d’ailleurs. Il est pris de compassion pour elle.
- — Chère Anaïs. Acceptez-vous que je vous raccompagne ?
- — Cela me serait moult agréable. De plus cela me permettra de justifier mes informations.
Durant le chemin Charles expliqua ce qu’Anaïs devait révéler à son correspondant. À dire vrai pas grand-chose, car tous sont dans l’attente de nouvelles de l’expédition. Arrivée à destination, elle pria son cavalier à venir prendre un rafraîchissement. Au moment du départ, le Vicomte baise la main de la marquise et commence à s’éloigner, puis se ravise. Il revient vers elle la prend dans ses bras et l’embrasse. Quand leurs lèvres se séparent, elle murmure à son oreille :
- — Ne vous croyez pas obligé.
Il lui répond de même :
- — Chère amie, cela ne m’est nullement une servitude et ne l’a jamais été. Les moments passés en votre compagnie ont toujours été pour moi des moments privilégiés. Si toutes les obligations devaient être ainsi, j’en réclamerais tous les jours.
Il l’enlace de nouveau. Elle fond et rapidement tous deux se retrouvent en peu de temps dans la chambre de la marquise, dénudés sur le lit. Charles se montre particulièrement prévenant. Il embrasse Anaïs sur les seins et toutes ses lèvres. Elle-même s’occupe de son mandrin. Il conquiert le conin de la belle qui, à vrai dire, ne songeait aucunement à en défendre l’entrée. Il se montre si délicat que sa dulcinée finit par lui faire remarquer qu’elle n’est pas en porcelaine. Il met alors un plus d’impétuosité à l’honorer au vif contentement de la dame. Quand il quitte les lieux, Anaïs a été comblée et reste un moment étendue pour savourer la plénitude du plaisir qu’elle a pris. Charles, quant à lui, n’est pas moins satisfait de ces moments. Certes, il n’avait jamais été désagréable de baiser la marquise, mais là c’était différent. La mésestime en laquelle il la tenait, a fait place à de la considération et même de la sympathie, teintées d’un peu de compassion.
En sortant, malgré le projet qu’il en avait, il ne tente pas de rencontrer Claire. Ses exercices avec Anaïs l’ayant quelque peu surmené, il préfère éviter de se retrouver en panne avec la très ardente fille de l’amiral. Il lui écrira un billet pour s’en excuser avant son départ pour les funérailles le lendemain à l’aube.
Dès potron-minet, il se met en route pour le château familial. Là encore il chevauche comme un messager des postes royales, prenant à peine le temps de se reposer.
À son arrivée au château, il embrasse toute la famille. En premier lieu sa mère qu’il tente de réconforter, puis ses trois sœurs Véronique-Marie qui, a dix-sept ans, est devenue une charmante jeune femme qui doit bientôt épouser Jean Guillaume de Beaumont ; Marthe de deux ans sa cadette qui promet d’être aussi jolie ; Élisabeth neuf ans, toujours aussi vive, et enfin Gauvin sept ans qui a bien pris trois pouces depuis qu’il ne l’a vu. Malgré les circonstances ces retrouvailles sont joyeuses.
Dès qu’il le peut, Charles cherche les documents dont lui a parlé son père. Il les trouve effectivement derrière la toile représentant son grand-père. Il s’isole dans sa chambre pour les consulter. Tout y est consigné. Le mariage de son oncle Jean-Louis et d’Éléonore Folquier, mais ce n’est pas tout il y a également les actes de naissance de Jehan et Eulalie. Cette révélation l’abasourdit. Son père ne lui avait confié cela. Ainsi il a un cousin et une cousine germains. Il faut qu’il retrouve cette Éléonore. Il partira de son lieu de naissance. Ce n’est pas loin et peut-être y est-elle revenue. Les funérailles passées, il aura quatre jours pour commencer les recherches, mais avant cela il devra s’en entretenir avec sa mère. Il ne sait si son père l’a mise dans la confidence. Ce serait étonnant, mais sait-on jamais.
Quand il commence à évoquer, de manière indirecte, le sujet, il a confirmation que sa mère ne sait rien. Il improvise une histoire :
- — — Peu avant son départ pour la guerre, il fut remis à père un courrier expédié il y a plusieurs années par son frère Jean-Louis. Il contenait des papiers relatifs à son mariage outre-mer et à la naissance de deux jumeaux. Il n’eut point le temps de s’occuper de cette affaire avant son départ, aussi me les confia-t-il pour que je m’en charge quand je le vis ; peu avant sa mort.
- — Je me rappelle, il y a à environ quatre ans une jeune femme est venue au château se disant l’épouse de Jean-Louis, mais elle n’avait aucun document pour prouver ses dires, aussi Henri l’a-t-il éconduite, mais il n’a jamais été fait mention d’enfants devant moi.
- — Comment était-elle ?
- — Assez jolie, blonde, de taille moyenne aux environs de cinq pieds, une voix douce, mais ce qui m’a surtout frappé chez elle c’est son air de grande mélancolie. J’ai pensé qu’elle ne mentait pas. J’ai fait part de mon sentiment à ton père, qui m’a rétorqué que les aigrefins ont souvent l’air très honnêtes.
- — Vous aviez bien senti les choses, mère. Dites-moi, si je parviens à les retrouver, accepteriez-vous…
- — Qu’elle vienne à Sombreuil. Bien sûr. Il serait temps que les enfants connaissent leurs cousins. Et si elle n’est pas établie, elle sera la bienvenue.
C’est ainsi qu’avec la bénédiction de sa mère que le nouveau comte de Sombreuil se met en quête. Il se rend à Cybeaugen où naquit Éléonore. Hélas, la famille n’habite plus en ce lieu depuis plusieurs années. D’après d’anciens voisins elle serait établie à Lésoran, ville qui n’est pas trop éloignée, mais c’est une grande cité, les recherches peuvent être assez longues, surtout que les renseignements glanés à Cybeaugen sont quelque peu contradictoires. Heureusement la chance sourit à Charles. Il trouve rapidement la trace des Folquier. Il apprend par la même que le père est décédé peu après leur arrivée et que c’est son fils aîné qui a repris le commerce.
Il se rend à l’endroit que l’on lui indique sans même prendre le temps de se changer. La boutique qu’il trouve n’est point médiocre, les draps et autres objets proposés sont de qualité et la maison sans être luxueuse est respectable. Il avise quelqu’un dans la boutique :
- — Le bonjour.
- — Bonjour, Monsieur, que puis-je pour vous ?
- — Je désirerais parler à Éléonore Folquier.
- — À cette heure elle n’est point céans.
- — Sauriez-vous quand elle reviendra ou à défaut où je pourrais la trouver ?
- — Je ne saurais répondre. Tout à l’heure je l’ai vu ramener les légumes et le pain, elle devait dans l’après-midi s’occuper de la lessive, mais d’autres tâches étaient prévues que j’ignore. Quant à son heure de retour… !
- — Sauriez-vous si quelqu’un pourrait me renseigner ?
- — Probablement la bourgeoise.
- — Est-il possible de la voir ?
L’homme se tourne vers l’intérieur avant de répondre :
- — Elle est assise derrière le comptoir.
- — Je vous remercie.
Le comte se dirige vers le fond de la boutique :
- — Madame, je vous présente mes respects.
- — Monsieur, je vous salue. Que désirez-vous ?
- — Je désirerais rencontrer Éléonore Folquier.
- — Repassez plus tard, elle n’est pas là,
- — Auriez-vous l’obligeance de me dire où il serait possible de la rencontrer ?
- — Ne pouvez-vous attendre son retour. Vous allez la retarder dans son travail.
- — Dans combien de temps pensez-vous qu’elle sera de retour ?
- — Je ne sais, ça dépend comme elle traînasse.
Le comte est surpris du ton et des paroles de la dame. Il va essayer d’en apprendre un peu plus et d’amadouer la femme :
- — Parce qu’elle traîne à vous aider ! Pourtant vous avez eu la bonté de la recueillir.
- — C’est bien vrai. Quand cette gourgandine est revenue avec ses deux bâtards, mon beau-père, Dieu ait son âme, l’a accueillie. Il a dû rapidement quitter Cybeaugen pour s’établir ici afin d’éviter le scandale. Quand il est décédé, mon époux, un saint homme, n’a point voulu la rejeter.
- — Il a le sens de la famille.
- — Certes, mais je lui ai fait comprendre que trois bouches à nourrir en plus ce n’est pas rien et qu’il fallait qu’elle se mette au travail et aide à la maison.
- — Cela est tout à fait sensé. Comme cela elle participe à l’équilibre financier de la maison.
- — Exactement ! Grâce à cela j’ai pu me séparer de deux souillons fainéantes. Ha ! Vous avez de la chance, la voici.
Le Vice-amiral se retourne et voit une jeune femme blonde entrer, ployant sous la charge d’un énorme panier de linge. Sa vêture est à peine passable.
- — Au fait que lui voulez-vous ?
- — Je désirerais m’entretenir avec elle, d’une question embarrassante.
Dévoré de curiosité la femme enchaîne :
- — Il serait malséant de vous laisser seul avec elle.
Charles s’abstient de faire remarquer qu’Éléonore sort seule sans chaperon quotidiennement pour de longue période pour accomplir les tâches qui lui incombent. Il se contente de répondre :
- — Je vous comprends. Auriez-vous l’amabilité en ce cas d’aller quérir votre mari.
- — Il est inutile de le déranger. Je suis là.
- — Je suis obligé d’insister, sa présence est nécessaire.
La femme s’éloigne en grommelant :
- — Qu’à encore bien pu faire cette fille, pour nous causer des ennuis ?
Une minute plus tard, Damien, le mari, arrive et s’inquiète de ce qu’il est arrivé quelque chose de grave à sa pauvre sœur. Charles répond :
- — Il est indispensable qu’elle soit présente.
- — Bien sûr. Gertrude, pourrais-tu allez la chercher s’il te plaît ?
La dame s’exécute de mauvaise grâce toujours grommelant :
- — Comme si je n’avais que ça à faire de courir après cette gourgandine.
Elle revient une poignée de secondes plus tard, accompagnée d’Éléonore qui s’essuie les mains sur son tablier. Le comte prend son temps avant de demander :
- — Êtes-vous Éléonore Folquier, née à Cybeaugen de Roger Folquier et de son épouse Isabeau née Ramier ?
- — Oui, répond-elle d’une voix étonnamment mélodieuse.
- — D’abord, permettez-moi de me présenter. Je suis Charles de Sombreuil.
À ce nom tous se figent et la jeune femme se met à trembler. Charles pose une main rassurante sur son bras et enchaîne :
- — N’ayez crainte, je pense que je suis porteur de bonnes nouvelles.
Il débite la petite histoire qu’il avait inventée pour sa mère de courrier parvenu avec des années de retard et conclut :
- — Grâce à ces documents retrouvés, votre mariage avec mon oncle devient indiscutable et vos deux enfants ont droit au nom de Sombreuil. Ma mère, la comtesse douairière, pense qu’il faut que nous fassions connaissance, mon frère, mes sœurs et moi-même de nos cousins. Elle serait également enchantée que vous acceptiez de venir vous établir au château et je pense que Gauvin mon jeune frère serait ravi d’avoir des compagnons de son âge. Ma tante permettez-moi de vous embrasser.
Après qu’il ait déposé sur sa joue un baiser, elle fond en larme, tandis que son frère la prend dans ses bras visiblement fort réjoui :
- — Éléonore, le ciel soit loué, ta sincérité éclate au grand jour. Ah ! Monsieur le comte soyez béni, vous rendez à ma sœur son honneur et donnez à mes neveux un nom.
Cette gaîté n’est nullement partagée par son épouse qui pince les lèvres. Elle demande :
- — Et quand ma très aimée belle-sœur devra-t-elle se mettre en route ?
- — Si cela est possible dès aujourd’hui, car je n’ai obtenu qu’un congé très court et dois retourner à Ressaville dans les plus brefs délais.
- — Bien sûr, enchaîne son frère, va vite te préparer avec les enfants. Attends je vais t’aider. Veuillez m’excuser, Monsieur le Comte.
Le frère et la sœur s’éloignent, laissant Charles avec Gertrude. Ils échangent quelques banalités. Avant qu’il ne glisse :
- — Vous voilà débarrassée d’un fardeau, mais il faudra que vous songiez à chercher du personnel, maintenant que votre belle-sœur quitte la maison.
Le retour de Damien, de sa sœur et de deux enfants la dispense de répondre. Charles se penche vers les enfançons et les salue :
- — Bonjour. Je m’appelle Charles, je suis votre cousin. Toi, tu es Jehan et toi tu es Eulalie. Nous allons voyager ensemble vers une nouvelle maison où vous rencontrerez mes frères et sœurs. Mon frère a à peu près le même âge que vous.
Il continue un certain temps à leur parler pour les rassurer. Puis il va louer une voiture, tandis que le frère et la sœur se font leurs adieux. Les bagages sont chargés, Damien ajoute aux effets de sa sœur des rouleaux de tissu pour qu’elle puisse se faire de nouvelles robes, au grand dam de sa femme qui fait grise mine. Tout le monde ensuite embarque dans la carriole.
Durant le début du voyage, les deux enfants qui sont fort éveillés se montrent curieux. Quand Charles révèle qu’il est marin, Jehan se montre enthousiaste et le bombarde de questions. Celui-ci répond de bonne grâce. Le soir, il s’arrête dans une auberge. Après dîner la fatigue finit par emporter ses cousins qui s’endorment. La conversation s’engage alors avec Éléonore. Ils n’avaient pas jusqu’à présent eu l’occasion de discuter vraiment. Elle le remercie d’abondance. En bavardant, il se rend compte que la jeune femme, elle a à peu près son âge, ne croit guère à son histoire de papiers retardés, même si elle ne le dit pas ouvertement. Il se doute que l’opinion qu’elle doit avoir de son père ne doit guère être flatteuse. Il reconnaît qu’il ne saurait l’en blâmer.
Par ce tête-à-tête, il comprend pourquoi son oncle est tombé amoureux d’Éléonore. La jeune femme, sans être d’une beauté à couper le souffle, est jolie. De plus, elle est éveillée, peut se montrer spirituelle et a une très bonne éducation, qu’il ne s’attendait pas à trouver chez quelqu’un de sa condition, mais surtout elle aimait son mari d’un amour farouche. Elle est prête à tout accepter pour ses enfants, comme le prouve sa soumission à la condition de servante que lui imposait sa belle-sœur. Il se demande d’ailleurs si elle aurait continué à vouloir vivre sans eux. De son côté, elle trouve à Charles un côté bienveillant qui faisait totalement défaut à son père. Il est chaleureux. Il ne se montre ni fier ni arrogant et surtout il a su conquérir les enfants.
Le lendemain au château les nouveaux arrivants reçoivent le meilleur accueil. Le lendemain quand Charles doit reprendre le chemin de la capitale, il est rassuré, après les épreuves qu’ils ont subies, quant à la situation de sa tante et de ses cousins. Au moment de son départ, Jehan et Eulalie l’embrassent avec le même enthousiasme que des frères et sœurs. Quant à Éléonore elle l’étreint avec chaleur, les larmes au bord des yeux.
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Les épisodes précédents :